Les interventions en séance

Affaires sociales
Valérie Létard 25/01/2011

«Proposition de loi relative à l՚assistance médicalisée pour mourir»

Mme Valérie Létard

Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du débat, permettez-moi de vous dire à quel point j’apprécie d’avoir rejoint les rangs de la commission des affaires sociales. Sur les trois propositions de loi qui ont été soumises à discussion commune, notre débat en commission a été, je tiens à le dire, respectueux des personnes et des convictions. Je tiens à remercier notre présidente, Mme Dini, qui a su maintenir cet esprit de sérieuse réflexion. Les législateurs que nous sommes ont pleinement conscience que ce sujet est grave et qu’il mêle intimement l’éthique, le juridique et le sociétal. Permettez-moi également de saluer, avec beaucoup d’émotion, le travail tout à fait remarquable effectué par le président Nicolas About, dont le jugement perspicace, la capacité d’écoute et le souci d’apporter des solutions mesurées vont, à n’en pas douter, nous manquer. Mais la réflexion engagée par le groupe de travail sur la fin de vie constitué sur son initiative demeure. Ce groupe de travail a apporté une contribution très riche à ce débat et je tenais à le remercier de la justesse des pistes qu’il a tracées. Enfin, permettez-moi aussi de saluer la qualité du travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Godefroy. Quelle que soit l’issue finale de nos débats, sa contribution pour faire avancer la prise en compte de la fin de vie dans un sens toujours plus respectueux des volontés exprimées par les patients ajoute une pierre utile à notre réflexion commune. Revenons à la question de l’aide médicalisée à mourir. Ce débat est, je le crois, nécessaire, et c’est tout à l’honneur de notre Haute Assemblée d’avoir eu le courage de l’ouvrir. Cette question n’a pas surgi par hasard : elle s’est développée avec les progrès indéniables de la médecine. Une vision parfois très technicienne de celle-ci s’est avérée de plus en plus inadaptée au moment de la fin de vie, où la possibilité de soigner pour guérir n’existe plus. La médecine a dû s’adapter : la mort survient désormais, le plus souvent, au terme d’un long processus de souffrance et de déchéance physique, parfois dans une détresse psychique et morale qui atteint le malade comme ses proches. Qui ne connaît l’état d’épuisement des accompagnants, au point que nous avons choisi, à juste de titre, d’instaurer un congé spécifique et, depuis la loi du 2 mars 2010, de le rémunérer, grâce une allocation d’accompagnement de la personne en fin de vie ? Faisant suite à plusieurs textes, dont la proposition de loi adoptée sur l’initiative de notre ancien collègue Lucien Neuwirth, qui avait été un précurseur, la loi du 22 avril 2005, dite « loi Leonetti », s’est attachée à stopper l’acharnement thérapeutique, à mieux informer le patient, à mieux prendre en compte aussi sa volonté et à promouvoir un accès généralisé aux soins palliatifs. Cette loi constitue une avancée majeure. Puis-je rappeler que l’ensemble du groupe de l’Union centriste avait, en 2005, apporté son soutien à ce texte ? Que constatons-nous, six ans après l’adoption de cette loi ? Malgré le volontarisme du Gouvernement et les plans successifs pour augmenter le nombre de places dans les services de soins palliatifs, beaucoup de malades et de leurs proches ne trouvent ni l’information dont ils ont besoin ni une prise en charge adaptée. Trop peu sont entourés de personnels formés et capables de leur apporter le réconfort psychique comme physique dont ils ont cruellement besoin. Nous constatons également un trop grand décalage entre l’affichage de créations de places nouvelles et, dans les faits, des moyens trop insuffisants fléchés spécifiquement sur les soins palliatifs. (M. Bernard Piras s’exclame.) Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et je vous donne acte de votre engagement, le Gouvernement fait effectivement un effort de fléchage des crédits sur les soins palliatifs, mais nous devons rester extrêmement vigilants, à l’avenir, afin que ces crédits ne se perdent pas dans les dotations globales versées aux hôpitaux , qui pourraient être parfois tentés de les utiliser à d’autres fins, parce qu’ils font face à des urgences de toute nature. Il faut donc réaffirmer la nécessité d’être présent à ce rendez-vous, cet aspect me paraît très important. Nous constatons enfin que trop peu de professionnels se sont approprié cette loi dans toutes ses dimensions. Si ce débat sur ce que beaucoup ont choisi de renommer « légalisation de l’euthanasie » perdure, c’est bien le signe que les progrès accomplis n’ont pas encore permis de prendre en compte toutes les détresses de la fin de vie. Pour ma part, je ne crois pas que la commission des affaires sociales, en examinant ces propositions de loi, ait choisi d’ouvrir un débat sur l’euthanasie en général. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.) Notre commission s’est juste rendue à l’évidence que certaines situations n’étaient pas réglées par les dispositions de la loi Leonetti. En instaurant la généralisation des soins palliatifs, nous avons, en même temps, reconnu que le patient en fin de vie avait droit à la parole et qu’il était acteur de sa vie jusqu’au bout. Cela suppose que, dans ces situations, la décision ne soit plus seulement entre les mains des soignants : cette décision se partage. À n’en pas douter, une véritable évolution culturelle doit faire son chemin : un patient qui accepte d’être davantage maître de son destin, un soignant attentif à la volonté exprimée par le soigné. Tels sont, pour moi, les termes du débat. Ils méritent d’être abordés en évitant, de part et d’autre, les crispations, les anathèmes et les caricatures. Oui donc au débat, parce que nous nous rassemblons tous sur un point : nous voulons collectivement que notre société permette aux personnes de « bien » mourir et que la mort cesse d’être escamotée, mais puisse au contraire être partagée, accompagnée, réintégrée dans le processus de la vie dont elle ne constitue que l’ultime étape. Telles sont les raisons qui m’ont incitée, tout comme Nicolas About dont je partageais l’avis, à voter l’article 1er de la présente proposition de loi en commission. En votant cet article, j’ai aussi souhaité que l’on reconnaisse les « zones grises » que notre législation a laissé perdurer. Notre collègue Sylvie Desmarescaux nous a proposé, hier soir, de visionner un témoignage sur le fonctionnement de la maison médicale Jeanne Garnier. Ce film, Les yeux ouverts, comprend une séquence où une équipe médicale choisit, à la demande d’un malade, d’interrompre un traitement, entraînant trois jours plus tard le décès de la personne. N’est-ce pas, si l’on veut bien y réfléchir, une certaine forme d’assistance à mourir ? Celle-ci est légale, d’autres ne le seraient pas. Pour moi, la limite entre les deux doit cependant susciter notre interrogation, car elle appelle la réflexion et le débat. Mais pour qu’il y ait débat, encore faut-il savoir quelle est exactement la situation aujourd’hui en France. Nous avons besoin d’un état des lieux qui permette de connaître quelles sont les pratiques, quelles sont les dérives, quelles conséquences nous serions en droit d’attendre d’un changement de la législation. À ce niveau-là, il faut reconnaître que nous ne disposons pas d’une photographie précise de ce qui se passe. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.) L’Observatoire de la fin de vie, créé en 2010 seulement, ne dispose pas encore des données suffisantes pour nous renseigner. Nous avons donc besoin d’études complémentaires afin de nous permettre de nous positionner avant l’adoption d’un texte comme celui que nous examinons ce soir. Aujourd’hui, rien n’est réglé. Il nous faut maintenant, parce que de nombreuses situations demandent effectivement... (Nouvelles marques d’impatience sur les mêmes travées.) Si vous le permettez, monsieur le président, puisque, sur un sujet aussi difficile, je ne peux pas aller au bout de mon propos (Protestations sur les travées de l’UMP.) ni le démontrer, je conclurai par deux phrases. Il y a encore place pour la réflexion, afin que les prescriptions d’une telle loi apportent toutes les garanties face à des situations d’infinie fragilité où doivent se combiner protection et respect des volontés de la personne. Les débats autour de la loi Leonetti montrent bien qu’il reste des situations auxquelles la législation actuelle ne répond pas complètement. Tôt ou tard, cette loi devra être complétée. Le mérite du Sénat est d’ouvrir le débat. Nous devons continuer à le faire vivre jusqu’à ce que se dégage un consensus suffisamment fort. C’est la raison pour laquelle, bien que favorable au principe contenu dans l’article 1er de cette proposition de loi, je m’abstiendrai lors du vote final (Ah ! sur les travées de l’UMP.), tout simplement parce que je pense que la loi Leonetti doit être complétée et mieux appliquée. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Jacques Blanc applaudissent également.)