Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 24/03/2010

«Proposition de loi tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue»

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’examen du texte qui nous est proposé par Jacques Mézard et certains de ses collègues du groupe du RDSE nous permet de prolonger le débat qui a été lancé au Sénat le 9 février dernier.
Je précise, à l’intention de tous nos collègues intéressés, que nous aurons encore l’occasion d’évoquer ce sujet important. C’est une bonne chose, mais on peut s’interroger sur l’organisation de nos travaux. En effet, le dépôt répété de propositions de loi, toutes intéressantes, mais portant sur le même sujet, nous conduira à multiplier des travaux quasi identiques en commission et en séance.
En dix ans, le nombre de gardes à vue a doublé. Les conditions dans lesquelles elles ont lieu restent trop souvent déplorables, comme l’a souligné le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2009.
Enfin, les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous montrent que nous sommes dans un climat d’insécurité juridique préoccupant.
Il s’agit pour nous, législateurs, si nous prenons des dispositions tendant à modifier le droit actuel, de concilier les exigences de sécurité et le respect des droits de la personne.
J’ai cru comprendre que le débat du 9 février dernier avait montré que le sujet dépassait les clivages partisans, ce qui me paraît une bonne chose.
En effet, une réforme est indispensable. Mais elle se doit d’être ambitieuse.
C’est pourquoi il me semble qu’elle a vocation à s’inscrire dans une réforme d’ensemble de la procédure pénale.
Pourquoi réformer la garde à vue ? Pendant trente-cinq ans, le régime de la garde à vue a été marqué par une grande stabilité.
En revanche, depuis 1993, plus d’une dizaine de lois d’une portée variable ont modifié le régime de la garde à vue en tendant à en faire, au début, un dispositif protecteur de droits.
Mais la machine s’est emballée et nous avons assisté à un dévoiement de la procédure.
Comme l’a dit tout à l’heure Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, on peut estimer à 800 000 le nombre de gardes à vue opérées en 2009 en France, dont 150 000 pour des infractions routières.
Je ne reviendrai pas longuement sur l’utilisation du nombre de gardes à vue comme indicateur statistique. Il serait heureux que le ministère de l’intérieur abandonne cette pratique qui a conduit à une certaine perversion de la mesure, mais, notamment pour les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue, et chacun ici en connaît, le mal est fait.
Je ne reviendrai pas plus longuement sur les conditions de détention, qui, nous en sommes tous convaincus – du moins je l’espère ! –, sont souvent déplorables. La responsabilité n’en incombe d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, aux personnels de police et de gendarmerie. Il n’est qu’à constater tout simplement l’état des locaux pour comprendre que toute personne se retrouvant en garde à vue voit, d’un seul coup, son quotidien basculer.
En matière de garde à vue, la Cour européenne des droits de l’homme accentue sa jurisprudence.
Ainsi, aux termes de l’arrêt Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008, la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat « dès le premier interrogatoire [...] par la police ».
Puis, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, du 13 octobre 2009, la Cour exige que l’action des avocats s’exerce librement, pour permettre à l’intéressé d’obtenir « la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. »
D’autres arrêts rendus plus récemment sont venus compléter cette jurisprudence, M. Mézard l’a évoqué à l’instant.
Autre point important pour appréhender le problème de la garde à vue dans son exhaustivité, la Cour de Strasbourg entend désormais limiter strictement les exceptions au principe de la présence de l’avocat. Aucune dérogation n’est ainsi possible, « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».
La législation française est visée, pour ce qui concerne non seulement, bien sûr, les infractions en matière de terrorisme, mais aussi la criminalité organisée.
Je tiens néanmoins à le rappeler, pour rassurer celles et ceux qui pourraient nourrir quelques inquiétudes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’applique qu’aux États parties aux affaires jugées, la Turquie et la Pologne en l’occurrence. Il n’est toutefois pas certain que nous souhaitions être longtemps comparés à ces deux pays sous cet angle-là...
Il reste que la jurisprudence de la CEDH est difficile à interpréter, tant et si bien qu’un certain nombre de tribunaux français, semaine après semaine, n’hésitent pas à annuler, non pas forcément l’intégralité des gardes à vue, mais des actes accomplis au cours de celles-ci. Des premiers présidents de cours d’appel m’ont ainsi personnellement indiqué qu’ils seraient particulièrement sensibles aux thèses exposées par ceux qui se référeraient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme...
Dans ce contexte, mes chers collègues, je suis, comme vous tous sans doute, extrêmement préoccupé par l’insécurité juridique dans laquelle nous risquons de nous trouver.
On a vu récemment des tribunaux correctionnels annuler des actes de garde à vue et, en conséquence de cette annulation, ordonner la remise en liberté de personnes pourtant loin d’être « innocentes », au sens commun du terme, dans la mesure où elles avaient été reconnues coupables à l’occasion de précédentes affaires. Nul doute que ces personnes ne tarderont pas à être de nouveau jugées !
Mes chers collègues, quelles sont les solutions envisageables ?
Il importe de nous pencher sur l’avant-projet de loi présenté par le Gouvernement, dont le texte, comme l’a rappelé Mme le garde des sceaux, a été mis en ligne il y a trois semaines environ. Il s’inspire en partie des suggestions du comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger.
Par ce biais, le Gouvernement entend tout d’abord limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête. Cela peut paraître évident, mais encore faut-il le rappeler, ne serait-ce que pour « guider » la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ensuite, le texte du Gouvernement prévoit un second entretien à la douzième heure de garde à vue. Celle-ci, aujourd’hui, dure en principe vingt-quatre heures, mais peut-être prolongée sur autorisation écrite du procureur. Proposition supplémentaire, en cas de prolongation au-delà de vingt-quatre heures, le mis en cause pourrait être assisté, lors des auditions, d’un avocat, qui aurait alors eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés.
Enfin, aux termes de l’avant-projet de loi, pour les infractions passibles de moins de cinq ans d’emprisonnement, les personnes pourraient être entendues dans le cadre d’une audition libre, au commissariat ou à la gendarmerie, sans contrainte et pour un maximum de quatre heures.
Ces propositions me paraissent intéressantes et méritent d’être discutées, tout comme celles qui sont contenues dans la présente proposition de loi.
Cette dernière repose, si j’ai bien compris, sur un principe simple : une personne gardée à vue ne saurait, en théorie, être entendue sans être assistée de son avocat.
Par conséquent, si la personne gardée à vue demande à être assistée d’un avocat, il faudrait retarder la première audition jusqu’à l’arrivée du conseil. À l’issue de cette audition, bien évidemment, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête hors la présence de l’avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit.
M. Mézard et certains de ses collègues du RDSE souhaitent également supprimer le régime dérogatoire pour la grande criminalité, tout en le maintenant pour les actes de terrorisme présumés.
Je note aussi que, contrairement à ce qui nous a été proposé par d’autres groupes politiques, l’extension du rôle de l’avocat ne va pas, dans l’esprit de nos collègues du RDSE, jusqu’à l’accès immédiat au dossier.
En outre, nos collègues prévoient expressément que l’avocat « ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière ». Voilà un point important, de nature à préciser les règles de déontologie applicables aux avocats.
Nous en avons débattu en commission, mais je dois dire, à titre personnel, que ce texte suscite quelques réserves de ma part. Ainsi me paraît-il contestable de supprimer les dispositifs dérogatoires pour tous les actes relevant de la criminalité organisée. Selon moi, pour ce qui concerne, par exemple, la traite des êtres humains, le blanchiment à grande échelle ou le trafic de stupéfiants de très grande ampleur, soit autant d’actes visant à saper les fondements de notre société et à détruire notre organisation démocratique, le maintien de telles dérogations relève de l’évidence.
Malgré ces réserves, comme je l’indique dans mon rapport, cité par Jacques Mézard tout à l’heure, les dispositions de cette proposition de loi « n’en constituent pas moins une base cohérente d’évolution du régime de la garde à vue ».
Je le répète, si la commission des lois dans son ensemble estime cette réforme nécessaire, elle considère que celle-ci doit être d’ampleur et acceptée par une grande majorité d’entre nous. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
En guise de conclusion, je soulèverai quatre interrogations.
Premièrement, l’intervention de l’avocat est-elle nécessaire dès le début de la garde à vue, c’est-à-dire dès le premier interrogatoire ? Personnellement, je suis assez favorable à une telle proposition, même si elle mérite discussion. Tous nos voisins, à l’exception, me semble-t-il, de la Belgique, accordent la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue.
Deuxièmement, faut-il que l’avocat ait accès au dossier pénal ? C’est un point très compliqué et lourd de conséquences. (M. Jacques Mézard en convient.) Même au sein du groupe socialiste, certains sénateurs y sont opposés.
Troisièmement, quid des régimes dérogatoires ? À mon avis, ceux-ci doivent être étudiés un par un. Un certain consensus se dégage pour les infractions en matière de terrorisme. Pour les autres, nous devons encore discuter, car il ne s’agit pas pour nous de prendre des mesures sans être allés au fond du sujet.
Enfin, quatrièmement, les avocats, qui ont voulu cette réforme, ont-ils les moyens, du jour au lendemain, d’assumer les nouvelles responsabilités qu’elle met à leur charge ? La question est capitale, car, d’un point de vue technique, en termes d’organisation matérielle et d’encadrement des plus jeunes, la réforme aura des effets indéniables. Rappelons-le, la France compte plus de 50 000 avocats, mais nous ne pouvons ignorer le comportement de certains, fort heureusement peu nombreux, une extrême minorité, pour ne pas dire quelques-uns. Mon collègue Pierre Fauchon y reviendra sans doute.
Mes chers collègues, vous le voyez, le sujet n’est pas simple !
Si la commission des lois s’est donné comme objectif de parvenir à une réforme en ce domaine d’ici à quelques mois, c’est parce qu’aujourd’hui nous ne sommes pas encore prêts à statuer définitivement.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est proposé d’adopter une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi. Moins encore que dans d’autres cas similaires où le Sénat a voté une telle motion il ne s’agit de refermer le dossier. Nous entendons le garder au contraire grand ouvert et y ajouter de nombreuses pages ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)