Les interventions en séance

Transports
Vincent Capo-Canellas 19/06/2014

«Proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports»

M. Vincent Capo-Canellas

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons-le d’emblée, nos collègues du groupe CRC ont un certain talent pour inscrire dans leur « niche » des sujets à forte actualité médiatique et potentiellement polémiques.
À défaut d’être directement applicables en l’état – selon moi, en tout cas –, ces textes présentent cependant l’intérêt de susciter le débat. Tel est particulièrement le cas de cette proposition de loi qui vise à nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Le report de quelques mois de ce débat « saucissonné » est finalement opportun. Le sujet des bénéfices des sociétés d’autoroutes n’a en effet pas quitté l’actualité : il est revenu sur le devant de la scène avec les déclarations de la ministre de tutelle, Mme Royal, qui souhaite – ou souhaitait : je ne sais s’il faut parler au passé… – prélever un milliard d’euros sur les sociétés concessionnaires pour compenser le manque à gagner lié à l’abandon de l’écotaxe poids lourds, abandon qu’elle appelait de ses vœux. Roger Karoutchi vient de faire allusion aux dernières déclarations de Mme la ministre ; nous verrons bien quelle suite sera donnée à tout cela, et peut-être pourrez-vous nous en dire un peu plus, monsieur le secrétaire d’État. Peu contestent aujourd’hui que la privatisation des concessions d’autoroutes décidée en 2005 a certainement été une erreur du gouvernement d’alors. Nous l’avions contestée à l’époque et les groupes centristes du Parlement avaient été, je le rappelle, particulièrement en pointe dans le débat. François Bayrou avait même intenté un recours contre cette décision devant le Conseil d’État. La privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroute a eu une conséquence particulièrement dommageable pour la politique des infrastructures de transport. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, qui venait juste d’être créée pour financer les grands projets d’infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes, mais aussi routières, s’est ainsi trouvée privée de recettes durables. La principale ressource de l’AFITF devait être constituée par le produit de la cession des participations détenues par l’État et son établissement public Autoroutes de France dans le capital des trois sociétés d’économie mixte concessionnaires. Je rappelle que, contrairement aux engagements qui avaient été pris, seuls 4 milliards d’euros sur les 14,8 milliards d’euros issus de la vente des parts de l’État ont été effectivement affectés à l’AFITF, la majeure partie de la somme ayant été consacrée au désendettement de l’État. Cette décision, facile et marquée par une vision de court terme, a privé l’AFITF d’une ressource pérenne et dynamique. Elle a engendré un manque à gagner déterminant pour le financement des infrastructures de transport. Voilà notre point d’accord. Avec le recul et en pensant aux difficultés actuelles pour financer les grands projets d’infrastructures de transport, qui nous obligent à faire des choix parmi les projets et à les étaler dans le temps, on ne peut que regretter cette décision. Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises ici et nous serons peut-être amenés à en débattre plus longuement à brève échéance au sein de cet hémicycle, si le Premier ministre rend rapidement ses arbitrages sur l’écotaxe poids lourds. Néanmoins, si notre groupe est d’accord sur ce constat, l’ensemble des orateurs, lors de la réunion de la commission du développement durable, ont admis que la nationalisation n’est sans doute pas la bonne solution ni la bonne réponse à la question posée. Cette proposition de loi est sans doute un texte d’appel, mais nous pouvons douter qu’elle soit applicable en l’état. En tout cas, je fais partie des sceptiques. Nos collègues communistes proposent en effet la recette – d’aucuns diront : « la vieille recette » – de la nationalisation, qui coûterait, selon les estimations, quelque 50 milliards d’euros, soit grosso modo le produit actuel de l’impôt sur les sociétés. Bien entendu, nous n’en avons pas les moyens. Si nos collègues du groupe CRC font mine de croire – ils me pardonneront cette expression – au gage qui consiste à augmenter d’autant l’impôt sur les sociétés, nous estimons qu’une telle mesure ferait fuir ou fermer les entreprises encore présentes sur notre territoire – ou, du moins, une bonne partie d’entre elles. Bref, le remède n’est-il pas pire que le mal ? Telle est la raison pour laquelle notre groupe s’opposera à cette proposition de loi. Cette initiative présente néanmoins l’avantage certain de permettre à notre assemblée d’inviter à nouveau le Gouvernement à appliquer les recommandations du rapport de la Cour des comptes sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ce rapport a mis en lumière un certain nombre d’anomalies et de lacunes dans le contrôle par les services de l’État des obligations des sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui se traduisent notamment par des hausses régulières des tarifs des péages autoroutiers, définis par ailleurs dans des conditions très opaques. Sur ce point aussi, chers collègues du groupe CRC, vous avez visé juste, car il s’agit d’un vrai sujet ! Plutôt que de s’engager dans une nationalisation irréaliste, le ministère des transports doit, me semble-t-il, faire siennes les recommandations de la Cour des comptes. Ne nous trompons pas de débat : le rapport de la Cour des comptes ne traite pas directement des sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais critique, parfois durement, les services de l’État, qui ne sont pas en mesure de faire respecter les termes du contrat de concession ni de négocier avec les sociétés d’autoroutes des conditions plus favorables pour l’État et les usagers. Pour ces derniers, cette défaillance s’est traduite par une hausse continue et importante des tarifs autoroutiers, qui sont pourtant en principe encadrés et limités. Je tiens à préciser que, lorsque j’évoque les carences des services de l’État, je souligne un problème d’organisation et de moyens, sans remettre en cause les personnels qui s’efforcent d’accomplir leur mission au mieux : je salue leur travail, tout en considérant que leurs moyens de contrôle devraient être renforcés. La question posée par la Cour des comptes dans cette affaire est celle du rôle de l’État régulateur. La principale conclusion de la Cour est en effet que les conditions actuelles d’encadrement des concessions autoroutières ne permettent pas que les intérêts des usagers et de l’État soient défendus comme ils devraient l’être. Il ne s’agit pas de remettre en cause le système des concessions qui a permis de développer en quelques dizaines d’années dans notre pays un réseau autoroutier dense et moderne. En revanche, l’État doit contrôler de façon beaucoup plus précise le respect par les sociétés concessionnaires d’autoroutes de leurs obligations. Meilleure négociation des contrats de plan et des avenants, mise en œuvre des dispositions contraignantes prévues par les cahiers des charges en cas de non-respect par les concessionnaires de leurs obligations contractuelles, contre-expertise des coûts prévisionnels des investissements, révision du décret de 1995 : toutes ces propositions de bon sens formulées par la Cour des comptes doivent être mises en œuvre par le ministère. J’ai pris bonne note des assurances que M. le ministre délégué chargé des transports a bien voulu nous donner en janvier dernier, au début de la discussion générale. Je crois qu’il est revenu sur ce sujet depuis, mais il faudra que les intentions affichées trouvent une traduction dans la réalité. En commission, plusieurs de nos collègues ont demandé la constitution d’une mission d’information sur la question de la privatisation des sociétés d’autoroutes. Je suis favorable à une initiative de ce type de notre assemblée, car elle permettrait d’y voir plus clair et de répondre aux questions de la hausse des tarifs des péages autoroutiers et de la rente tarifaire, qui reviennent régulièrement sous une forme polémique. Cette mission permettrait aussi de vérifier que les nouvelles procédures et contrôles mis en place par les services du ministère des transports, et évoqués par M. le ministre délégué lors de la précédente séance consacrée à ce débat, sont bien entrés en application. Enfin, comme le note la Cour des comptes, le cadre des concessions autoroutières doit évoluer alors que les besoins d’extension et de modernisation du réseau autoroutier sont moindres. Pour conclure, permettez-moi de souligner un paradoxe en m’interrogeant sur la décision prise par le précédent Premier ministre de prolonger de trois ans les concessions en cours.