Les interventions en séance

Education et enseignement supérieur
Valérie Létard 19/06/2013

«Projet de loi relatif à l՚enseignement supérieur-Rapporteur pour avis de la Commission»

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur de la commission de la culture, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mes chers collègues, notre commission des affaires économiques s’est donc saisie pour avis du projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Elle s’est penchée, plus particulièrement, sur les volets recherche, gouvernance et transfert du texte. Madame la ministre, vous avez souhaité mettre ces éléments en avant, et cela me semble, dans l’intention du moins, tout à fait opportun. Notre recherche est, certes, parmi les meilleures au monde mais elle reste encore bridée par un excès de bureaucratie et peine à établir un lien durable avec le monde de l’entreprise. Le paysage de la recherche est devenu trop complexe. C’est un constat partagé par tous aujourd’hui, et qui a encore été souligné à de nombreuses reprises lors des Assises nationales de la recherche. Il est clairement ressorti, également, des nombreuses auditions que nous avons menées dans le cadre de notre rapport pour avis sur la loi du 29 novembre 2012 de finances pour 2013. Vous rappeliez vous-même, madame la ministre, l’expression de « mikado institutionnel » souvent utilisée pour évoquer cette complexité. Nos chercheurs étouffent sous des tâches administratives croissantes et cela les détourne de leur activité de recherche, qui est pourtant leur cœur de métier. Cela les empêche, par ailleurs, de soumissionner aux appels d’offres passés par l’Union européenne dans le cadre des programmes-cadres pour la recherche et le développement technologique, les PCRD. En conséquence, notre taux de retour a reculé d’un tiers depuis 2007. Aujourd’hui, nous donnons presque deux fois plus à l’Europe que nous recevons d’elle au titre de la recherche ! Dans un contexte de financements internes très contraints, il y a là une aberration qu’il convient de rappeler et contre laquelle il nous faut œuvrer. Les causes de ce faible taux de retour sont connues ; il résulte principalement d’une insuffisante articulation entre programmation nationale et programmation européenne et d’un manque de soutien aux équipes présentant des projets. Or, madame la ministre, bien que vous ayez identifié tous ces obstacles, votre projet de loi ne les aborde pas. Que comptez-vous donc faire pour y remédier, et ainsi permettre à notre recherche de mieux tirer parti des financements européens ? Trop dispersée et mal connectée avec l’Europe, notre recherche souffre par ailleurs d’un « pilotage des moyens défaillant », pour reprendre l’expression de la Cour des comptes dans son tout récent rapport sur le financement public de la recherche. À l’échelle nationale, l’État ne remplit pas son rôle de stratège et de coordinateur des multiples acteurs existants. Territorialement, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, sont d’une efficacité variable selon les territoires. En outre, notre système d’évaluation reste perfectible, même s’il a évolué dans le bon sens depuis quelques années, sous la houlette de l’actuel président de l’AERES. Je reviendrai sur cette question lors de la présentation de nos amendements s’y rapportant. Enfin, les mondes de la recherche et de l’économie sont encore trop séparés. Comme le relève encore la Cour des comptes, la France est « bonne en recherche » mais « nettement plus faible en innovation ». Elle s’inscrit, s’agissant de cette dernière, dans la catégorie des pays « suiveurs », à la vingt-quatrième place mondiale. Nous nous occupons insuffisamment des retombées économiques de la recherche, qui sont peu prises en compte dans les indicateurs de performance de la dépense publique comme dans les évaluations des chercheurs et des équipes. Pourtant, des instruments ont été mis en place pour établir des ponts entre les deux mondes. Comme nous le rappelait le commissaire général à l’investissement, M. Louis Gallois, la semaine dernière en commission des affaires économiques, une partie majeure des 35 milliards d’euros du programme des investissements d’avenir, le PIA, sont consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche. À cet égard, je m’étonne de l’absence d’intégration, dans le projet de loi, de toutes les structures mises en place par le PIA pour faciliter le transfert, les instituts de recherche technologique – les IRT –, les sociétés d’accélération du transfert de technologie – les SATT – et les instituts d’excellence énergies décarbonées – les IEED –. Il est également étonnant de constater l’absence de référence directe à l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, par laquelle transitent pourtant la moitié des crédits du PIA. L’intégration de ces structures permettrait une meilleure cohérence ou, en tout cas, une meilleure explication au sein de ce texte, de l’organisation possible de ce « mikado ». À ce propos, vous avez fait le choix, madame la ministre, d’établir une politique de vases communicants entre l’ANR et les grands organismes de recherche. Or, le financement sur projets ne représente qu’une faible part du financement total de la recherche, dont le niveau est d’ailleurs sensiblement inférieur à celui d’autres grands pays scientifiques. Il permet pourtant de soutenir une recherche qui ne rentre pas forcément dans le champ des grands axes stratégiques définis au niveau national. La réduction du financement de l’ANR, prévue par la programmation triennale 2013-2015, affectera le dynamisme des équipes de recherche, ainsi que l’a clairement souligné la Cour des comptes. Pouvez-vous donc nous préciser, madame la ministre, au-delà de ce projet de loi, quelles sont les évolutions de plus long terme que vous souhaitez donner à cette structure, devenue centrale dans le paysage de notre recherche ? J’en viens maintenant aux propositions que vous nous faites dans votre texte pour relever ces défis, madame la ministre, et aux améliorations que nous souhaitons y apporter. Sur la gouvernance, vous mettez en place une stratégie nationale de la recherche. Passons sur le fait qu’elle remplace une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation, qu’il aurait peut-être été préférable de réorganiser. Je vous proposerai, pour ma part, de l’étendre au transfert, dont l’aspect stratégique doit, de l’avis de la commission des affaires économiques, clairement apparaître. À l’échelon territorial, sera élaboré un schéma régional de la recherche et de l’innovation. Je vous proposerai de mieux y associer les collectivités autres que la région qui, pour certaines d’entre elles, s’investissent amplement dans la recherche. Je pense notamment aux intercommunalités, qui, dans mon territoire comme dans de nombreux autres, contribuent substantiellement au financement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les PRES sont supprimés au profit d’un nouveau type de regroupements : les communautés d’universités et établissements. Là encore, pourquoi mettre à bas ce qui existait pour le remplacer par quelque chose de finalement très proche ? En tout état de cause, je vous proposerai de renforcer leur statut de confédération – vous en avez parlé tout à l’heure, madame la ministre –, qui apporte davantage de souplesse, et de sécuriser leurs statuts par un vote à la majorité qualifiée des deux tiers. Cela apportera sans doute plus de stabilité et favorisera concertation et partenariat entre les membres d’une telle communauté, ce qui relève, me semble-t-il, du bon sens. J’en viens à l’évaluation. Le texte remplace une entité qui montait en puissance et en qualité, l’AERES – certes, elle a suscité des difficultés en son temps –, par une nouvelle autorité administrative indépendante, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou HCERES. Nos auditions ont fait apparaître l’incohérence d’une telle démarche, qui entraînerait de coûts importants et retarderait les évaluations à venir. En effet, madame la ministre, si beaucoup souscrivaient à une telle idée au départ, ils ont changé d’avis, car l’AERES est précisément en train de se transformer, en corrigeant les éléments problématiques. Aussi notre commission souhaite-t-elle conserver l’AERES – et je pense que d’autres amendements en ce sens ont été déposés –, tout en la faisant profiter des évolutions positives contenues dans le texte, sur la proposition de Mme la ministre. Le projet de loi contient plusieurs articles relativement déclaratoires sur le transfert. Ils en font un objectif général de l’enseignement supérieur et de la recherche. La seule mesure opérationnelle est celle qui est prévue à l’article 55, sur la valorisation des brevets. Or, comme l’a rappelé Mme la rapporteur de la commission de la culture, il est clairement ressorti de nos auditions qu’une telle disposition poserait problème, même si l’objectif est partagé, et fort louable. En effet, la mesure contreviendrait au droit communautaire et aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, car elle introduit une discrimination selon le type d’entreprise et constitue un obstacle aux échanges. De surcroît, elle se révélerait totalement contre-productive car – nous en avons eu des exemples concrets, dans les secteurs des télécommunications ou de la santé – environ 80 % des entreprises qui licencient nos brevets sont des entreprises de taille intermédiaire ou des grandes entreprises, et, surtout, sont situées à l’extérieur de l’Union européenne. Un tel dispositif réduirait donc les ressources propres des organismes de recherche, et ce alors que l’État se désengage de plus en plus de leur financement, jugeant que France Brevets et la qualité des productions de nos chercheurs publics permettent de licencier plus de brevets. Mais nous fermer une part du marché sur lequel le génie français, c’est-à-dire la qualité de nos chercheurs, peut être une source de financement, ce serait un peu dommage. Toujours à propos des brevets, je vous proposerai également, suivant en cela l’initiative du président de la commission des affaires économiques, M. Daniel Raoul, de ratifier l’accord européen prévoyant le brevet unitaire, qui simplifiera le quotidien de nos chercheurs et de nos entreprises. En outre, je vous suggérerai d’étendre le bénéfice des contrats de travail à durée déterminée à objet défini pour une période d’un an ; cela doit normalement s’arrêter au 26 juin prochain, en l’absence d’évaluation du dispositif par le Gouvernement. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mes chers collègues, nombre de très grands instituts se sont fortement exprimés sur le sujet, en mettant en avant le risque que cela pouvait susciter dans leur fonctionnement quotidien au cours de l’année de latence, qui est indispensable. Au final, ce texte laisse une impression mitigée. Certes, il comporte quelques avancées indéniables et a été enrichi par nos collègues députés, qui ont notamment conforté le statut des jeunes chercheurs auprès des entreprises et de la haute administration. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Je sais que la mesure fait débat, mais je pense qu’il s’agit d’une belle avancée, de nature à encourager nos jeunes chercheurs. (Mêmes mouvements.) Dans le même temps, le projet de loi ne bouleverse pas fondamentalement les choses, se contentant trop souvent de retoucher de manière cosmétique des dispositifs existants, sans aborder des enjeux importants. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous proposerai de voter les amendements qui ont été adoptés par notre commission des affaires économiques, avec le soutien de nombreux commissaires de toutes sensibilités politiques. Ces amendements ont été travaillés en lien étroit avec Mme la rapporteur de la commission de la culture, dont je voudrais saluer le travail très sérieux et constructif. Nos amendements me semblent améliorer sensiblement le projet de loi dans ses volets recherche, gouvernance et transfert, et aller dans le sens du rapport de M. Louis Gallois, qui vise à créer un continuum de notre recherche de l’amont à l’aval. D’ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement ont constamment soutenu une telle démarche. Car prenons garde d’oublier que nos chercheurs contribuent, et pourraient contribuer encore davantage demain à créer de la valeur ajoutée et de l’emploi pour des milliers de nos concitoyens. Et cela n’est pas un gros mot, cela n’a rien d’antinomique avec le souhait, que nous formons tous, de soutenir l’excellence de notre recherche fondamentale, quel qu’en soit le domaine. Je dois le dire, l’accueil négatif que la commission de la culture a réservé à nos amendements, pourtant adoptés par la commission des affaires économiques, a été source d’étonnement. Dans ces conditions, vous le comprendrez, ma position sur l’ensemble du texte dépendra de la suite de notre débat et du sort qui sera fait à nos amendements en séance publique. Mais, comme je suis résolument optimiste, je veux espérer que nos discussions permettront de faire évoluer encore la physionomie générale du texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Daniel Raoul et Roland Courteau applaudissent également.)