Les propositions de loi

Droit et réglementations
François Zocchetto 12/02/2014

«Proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections»

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 février 2013, le Sénat adoptait, en première lecture, la proposition de loi du député François Sauvadet visant à la reconnaissance du vote blanc lors des élections. Près d’un an plus tard, nous sommes saisis de ce texte en deuxième lecture. Comme je l’avais indiqué lors de la première lecture, la question du statut du vote blanc est ancienne et dépasse largement nos frontières. Alors que plusieurs initiatives parlementaires, émanant des diverses sensibilités politiques, n’ont pu aboutir, il semble bien que, avec le texte que nous examinons cet après-midi, la reconnaissance du vote blanc n’ait jamais été aussi proche. En effet, lors de la première lecture, nos deux assemblées ont marqué leur accord sur le principe de cette reconnaissance, lequel est désormais acquis. Cependant, contrairement à la volonté initiale des auteurs de cette proposition de loi, le Sénat, comme l’Assemblée nationale avant lui, n’ont pas souhaité décompter les bulletins blancs comme des suffrages exprimés. Nous avons longuement débattu sur ce sujet et il est apparu comme une évidence que l’assimilation d’un bulletin blanc à un suffrage exprimé induirait un bouleversement notable de notre droit électoral, renversant ainsi un principe constant depuis 1839. Cette réforme n’était donc pas envisageable. Aussi les deux chambres ont-elles retenu une position équilibrée : le décompte séparé des bulletins blancs, sans intégration aux suffrages exprimés. Cette solution a le mérite d’être claire, mais elle a évidemment créé une certaine frustration, voire une incompréhension au sein de notre commission. Toutefois, je pense que ce que nous avons décidé en première lecture ne peut pas être remis en cause : c’était la seule voie possible. Si ce texte est adopté, nous aurons la possibilité de connaître exactement la mesure du vote blanc. Nous permettrons aussi l’expression des différentes opinions, car les électeurs disposeront ainsi d’une option supplémentaire. Nous espérons que, de ce fait, cela conduira un plus grand nombre d’électeurs à se rendre au bureau de vote.
Trois articles de cette proposition de loi restent en discussion.
J’évoquerai d’abord l’article 2 bis, qui a été introduit par l’Assemblée nationale en deuxième lecture à la demande du Gouvernement. Il vise simplement à opérer une coordination au sein du code électoral. Je n’ai donc pas de commentaire particulier à formuler et la commission ne voit aucune objection à l’adoption de cet article. Quant à l’article 5, il traite de l’entrée en vigueur de ce texte. Comme M. le ministre l’a indiqué, l’Assemblée nationale, suivant en cela la proposition de sa commission des lois, a reporté cette entrée en vigueur au 1er avril 2014. Cette date est en effet, aujourd’hui, la seule envisageable pour une application aussi rapide que possible. On peut certes regretter que les nouvelles dispositions ne concernent pas le prochain scrutin municipal mais, techniquement, le décompter des votes blancs les 23 et 30 mars prochain ne paraît pas réalisable. Dans ces conditions, mes chers collègues, si vous décidez de voter ce texte, le décompte séparé des bulletins blancs pourra s’appliquer à partir de l’élection des représentants au Parlement européen ainsi qu’à celle des conseillers consulaires par les Français établis hors de France. J’en viens, à présent, à l’article 1er, qui constitue le principal point de discussion entre nos deux assemblées. En première lecture, l’Assemblée nationale avait prévu que, afin de voter « blanc », un électeur pourrait soit introduire un bulletin blanc dans l’enveloppe, soit – ce qui est une innovation par rapport au droit actuel – déposer une enveloppe vide. En première lecture, nous avions eu, à cet égard, une divergence de vues avec l’Assemblée nationale. Ce point avait même fait l’objet d’une évolution entre la position défendue par la commission des lois et le vote du Sénat en séance publique. Quoi qu’il en soit, notre assemblée avait considéré que voter « blanc » nécessitait un acte positif et qu’il fallait donc continuer à considérer une enveloppe vide comme un bulletin nul. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a réaffirmé sa position. Il s’agissait pour elle, non pas de se montrer désagréable envers le Sénat, bien sûr, mais de faire valoir des arguments. Nous les avons à nouveau examinés de près, mais cette fois à la lumière des différents échanges qui ont eu lieu au cours des douze derniers mois. L’Assemblée nationale peut se prévaloir d’une certaine logique, car elle opère un raisonnement par défaut qui est relativement pragmatique. Si l’on ne souhaite pas s’engager dans le dépôt de bulletins blancs aux côtés des bulletins de vote – essentiellement parce que, d’une part, ce serait trop coûteux, particulièrement dans les circonstances actuelles, d’autre part, cela pourrait être perçu comme une forme d’incitation au vote blanc –, il faut permettre à l’électeur de voter blanc de manière aisée, par exemple en glissant simplement dans l’urne une enveloppe vide. À l’inverse, il faut bien le reconnaître, la position du Sénat en première lecture contraignait tous les électeurs désirant voter blanc à confectionner eux-mêmes leur bulletin, et un bulletin vraiment blanc ! Vous imaginez toutes les difficultés d’appréciation que ces bulletins sont susceptibles de poser aux scrutateurs et aux éventuels juges du contentieux électoral… Car il y aura bien, de toute façon, des bulletins blancs « artisanaux » ! La jurisprudence sera sans doute sollicitée à l’avenir. Il reste que, en tant que législateurs, nous ne saurions inciter au vote blanc par la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote. La solution de l’Assemblée nationale a donc le mérite d’être simple et de ne pas fragiliser les futurs scrutins par des contentieux. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat s’y est ralliée, et elle n’a pas fait uniquement dans un souci de compromis. Je conclurai par une observation. La présente proposition de loi s’appliquera à la quasi-totalité des scrutins électoraux, à l’exception, toutefois, de l’élection du Président de la République – ce qui n’est pas rien ! – et des référendums locaux. En effet, ces deux scrutins relèvent de la loi organique en application, respectivement, des articles 7 et 72-1 de la Constitution. J’appelle de mes vœux une telle modification organique. Je ne doute pas qu’elle pourra trouver place dans un futur véhicule législatif, avant la prochaine élection présidentielle, car j’ai cru comprendre qu’il existait un consensus sur cette question. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement de la position qu’il a prise à l’occasion de ce débat. Vous l’aurez compris, la commission des lois invite le Sénat à adopter cette proposition de loi sans modification, permettant ainsi son adoption définitive dès cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe UMP.)