Les propositions de loi

Affaires étrangères et coopération
Yves Détraigne 12/02/2014

«Proposition de loi relative à l՚accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers »

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi prend la suite de nombreux rapports déjà cités : le rapport réalisé par le préfet Bertrand Landrieu, celui de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2005 et celui de notre collègue Isabelle Debré. Ce texte ne procède donc pas d’une initiative isolée ni du hasard, il est le fruit d’un travail de longue haleine. Ce sujet n’est pas nouveau, le phénomène est connu et a été largement analysé. Nous estimons qu’il est temps d’agir, de le faire en modifiant la loi car le système actuel ne fonctionne plus et, dans certains départements, il est pratiquement asphyxié. Avec cette proposition de loi, nous nous faisons les porte-parole d’une situation préoccupante. Sur le terrain, tous les acteurs savent que les filières d’immigration clandestine se développent. Dans la plupart des départements, tous les jeunes que nous rencontrons ont le même parcours : ils arrivent à Roissy sans papiers, ils sont livrés à eux-mêmes ou suivent l’adresse que leur a donnée leur passeur. Car ces mineurs sont souvent, n’ayons pas peur de le dire, exploités par des mafias. Lorsque notre collègue Alain Richard a soulevé ce point en commission, certains membres de la commission ont été outrés : mais c’est pourtant une réalité ! Bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais nier que « ces circuits correspondent à ce que le droit pénal appelle du trafic de personnes humaines », pour reprendre les propos d’Alain Richard, c’est refuser la réalité. N’encourageons pas le phénomène : cela nuirait à la cohésion sociale de notre pays et porterait préjudice avant tout à ces jeunes eux-mêmes. L’accroissement du nombre des mineurs isolés étrangers place les services d’aide sociale à l’enfance dans une situation préoccupante. Je profite de cette intervention pour saluer le travail réalisé par ces personnels : ils sont dévoués et compétents, mais finissent aujourd’hui par être dépassés par la situation, contraints qu’ils sont de prendre en charge des jeunes d’âge incertain, déracinés du fait de leur parcours tragique. Dans les foyers règne parfois la confusion la plus totale : rixes, grèves du personnel, etc. Cette proposition de loi est donc l’occasion de faire remonter, si je puis dire, un ras-le-bol, et vise à faire cesser les débordements.
Il ne faut pas aborder cette problématique comme un simple problème financier, qui ne concernerait que les présidents de conseil général. L’enjeu, c’est celui de la répartition des compétences et des responsabilités : responsabilité de l’entrée sur le territoire national, responsabilité de la détermination de l’état de minorité de ces jeunes, responsabilité de l’accueil et de leur prise en charge. Notre devoir de législateur est de nous emparer de ce problème pour apporter des solutions pragmatiques et efficaces, car le statu quo n’est plus tenable. Votre circulaire de mai 2013, madame la garde des sceaux, n’a pas réglé tous les problèmes. Nous pensons que la répartition de ces jeunes entre départements n’est pas la solution. J’ai conscience que cette idée n’est pas la vôtre, mais qu’elle est celle de votre prédécesseur. Sauf qu’à l’époque il ne s’agissait que d’expérimenter un dispositif, et ce uniquement sur certains territoires. L’expérience montre aujourd’hui que cette méthode n’est pas la bonne et qu’il faut chercher d’autres solutions. Certes, le texte que nous examinons aujourd’hui est probablement imparfait, mais nous devons engager la discussion dès à présent. La navette parlementaire est d’ailleurs là pour nous permettre d’aboutir à un texte solide et, je l’espère, rapidement applicable. Je connais les qualités du rapporteur et je salue le travail important qu’il a réalisé, mais un renvoi en commission n’est certainement pas la bonne solution. Ce sujet étant difficile et propice à l’accumulation de non-dits, l’examen de ce texte est l’occasion d’énoncer clairement les choses. Il faut donc aborder le fond du texte, ouvrir réellement le débat au-delà de la seule discussion générale. Le nombre de mineurs isolés qui arrivent sur notre territoire augmente dans des proportions difficiles à quantifier. Que ce soit l’État ou le département qui prenne en mains ce dossier, les établissements d’accueil sont les mêmes : ceux-ci ont d’ailleurs souvent déjà une double habilitation et une double tarification. Dans plusieurs départements, ils sont systématiquement pleins, et les conseils généraux sont obligés de louer des hôtels – ce point a été souligné en commission – pour que ces jeunes aient un hébergement et de quoi manger. La question de la responsabilité est double : il y a le financement – le fonds de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, ne suffira certainement pas – et sa répartition, qui renvoie à la péréquation. Nous avons voté récemment la création de deux fonds de péréquation : que n’en avons-nous profité pour régler ce problème ! Au fond, la question est simple : qui autorise l’arrivée sur notre territoire de ces mineurs et leur permet d’y rester ? C’est l’État !
Il est vrai qu’il ne peut renvoyer des mineurs. Mais le plus souvent, la difficulté réside précisément dans la détermination de leur état de minorité. Ils savent dire « mineur » dans notre langue et nous sommes incapables, faute de preuves, de leur répondre « majeur » ! Les travailleurs sociaux sont à l’œuvre, mais n’en savent pas plus que nous.
La question financière existe bien, donc, mais n’est pas essentielle : il ne s’agit pas en réalité de sommes astronomiques pour les départements. L’autre question de fond est : qui est responsable de la présence de ces jeunes sur notre territoire ? Les conventions internationales lient l’État, elles ne lient pas les collectivités territoriales. Celui-ci ne peut donc être absent. Il doit, par exemple, se charger de vérifier l’âge de ces personnes. Je dirai quelques mots, enfin, sur l’article 40 de la Constitution. Nous connaissons tous, chers collègues, cet article, et l’auteur de la présente proposition de loi, ancien président de la commission des finances, le connaît mieux que quiconque ! J’ai cru comprendre que le Gouvernement envisagerait de nous opposer l’article 40… J’espère qu’il ne s’agit que d’une rumeur. J’ose croire, madame la garde des sceaux, que vous n’utiliserez pas cet article pour tenter d’échapper à un débat de fond qui est nécessaire. Je l’ai dit voilà quelques instants : notre proposition de loi n’est pas parfaite et nous sommes donc tout à fait ouverts au débat. Certains articles peuvent paraître inadaptés ou mal rédigés, mais le droit d’amendement et la navette sont là pour rectifier ces défauts. Certes, sur la forme, l’adoption de cette proposition de loi engendrerait une aggravation de la charge publique. Mais soyons honnêtes, nous savons tous que c’est le cas de plus de 90 % des textes déposés par les parlementaires. Autrement dit, invoquer l’article 40 dans ces conditions serait, si j’ose dire, relativement hypocrite et, surtout, constituerait un bien mauvais geste à l’égard de notre groupe, et du Sénat en général. Est-ce à dire que ce serait une nouvelle jurisprudence en matière d’application de l’article 40 aux propositions de loi ? Si tel était le cas, nous saurions le rappeler à l’avenir... Laissons donc le débat se poursuivre, madame la garde des sceaux, et nous verrons bien ce que décidera la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)