Les propositions de loi

Economie et finances
Jean-Léonce Dupont 11/12/2013

«Proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte contrat, présentée par M. Jean-Léonce Dupont et plusieurs de ses collègues »

M. Jean-Léonce Dupont, auteur de la proposition de loi

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter vise à doter nos collectivités territoriales d’un nouvel outil d’intervention : la société d’économie mixte à opération unique. Tel est le nom que la commission des lois, unanime, propose de donner à ce nouveau type d’entreprise publique locale, que nous étions un certain nombre à appeler la société d’économie mixte contrat, ou SEM contrat. Je souscris sans réserve à ce changement de nom : il permettra d’affirmer clairement qu’il s’agit d’un nouveau type d’entreprise publique locale. J’insiste : il n’est nullement question de créer un nouveau type de contrat, qui viendrait bousculer le droit français de la commande publique. De fait, la procédure prévue pour la constitution des sociétés d’économie mixte à opération unique n’est pas sui generis : elle sera l’une de celles déjà connues et pratiquées pour l’attribution de contrats publics, qu’il s’agisse de délégations de service public ou de marchés publics. Pour l’essentiel, le droit applicable aux SEM à opération unique sera celui en vigueur pour les SEM classiques, ce qui marque la pleine appartenance de cette nouvelle structure à la gamme des entreprises publiques locales, les EPL. Ainsi, le corpus juridique des SEM contrat sera celui dont nous sommes coutumiers en matière de sociétés anonymes, d’entreprises publiques locales et de commande publique. Composante à part entière de la gamme des EPL, au côté des 1 158 SEM, des 38 sociétés publiques locales d’aménagement, ou SPLA, et des 119 sociétés publiques locales, créées par la loi Raoul que nous avons adoptée à l’unanimité en mai 2010, la SEM à opération unique ne se distinguera de la SEM classique que sur six points. La principale différence réside dans le lancement par la collectivité territoriale d’un appel d’offres unique, en amont de la constitution de la SEM, pour désigner l’actionnaire ou le groupement d’actionnaires avec lequel elle s’associera. Le choix spécifique de l’actionnaire opérateur sera réalisé selon la procédure correspondant au type de contrat retenu : délégation de service public ou marché public. Ensuite, la SEM à opération unique sera mono-contrat : en d’autres termes, sa durée de vie sera limitée à l’exécution du contrat qui constituera son objet social exclusif. Dans ce cadre, les règles traditionnelles de reprise des personnels s’appliqueront pleinement. Le nombre des actionnaires pourra être de deux, mais rien n’empêchera que chacun soit un regroupement de plusieurs partenaires. La part publique du capital ne pourra être ni inférieure à la minorité de blocage de 34 % ni supérieure au plafond de 85 %. Les élus se voient ainsi garantir, dans tous les cas, une présence significative au sein des instances dirigeantes, avec le bénéfice du régime de protection des mandataires de la collectivité territoriale. La maîtrise politique est également garantie par la présidence de droit confiée à un élu et par la conclusion d’un pacte d’actionnaires précisant notamment la gouvernance, les décisions qui relèveront de l’unanimité ou d’une majorité qualifiée et la composition du capital, ainsi que son évolution. Sixième et dernière particularité des SEM à opération unique, le contrat initial pourra inclure des contrats connexes. Mes chers collègues, je suis profondément convaincu qu’il est aujourd’hui particulièrement opportun d’introduire en France la SEM à opération unique : la SEMOP, c’est maintenant ! Trois raisons m’inspirent cette conviction : l’environnement européen, le contexte national et les attentes fortes des différentes parties concernées. Mesurons tout d’abord combien la France, dont le droit ne connaît pas la SEM à opération unique, est aujourd’hui une exception en Europe. De fait, le droit de l’Union européenne reconnaît et encadre ce dispositif depuis plusieurs années. En particulier, la Commission européenne a publié une communication interprétative le 5 février 2008 et la Cour de justice de l’Union européenne – qui s’appelait encore Cour de justice des communautés européennes pour quelques semaines – a rendu, le 15 octobre 2009, un arrêt Acoset qui marque l’aboutissement d’une jurisprudence constante depuis plusieurs années. En outre, Michel Barnier, commissaire européen en charge du marché intérieur, m’a fait part, au cours du congrès des EPL qui s’est tenu le 29 octobre dernier à Paris, de son vif intérêt pour la proposition de loi que je venais de déposer. La SEM à opération unique est une structure d’usage courant dans de nombreux pays d’Europe, où elle est appréciée ; je pense en particulier à l’Espagne, à l’Italie, à l’Allemagne et à la Finlande. Dans ces pays, on y recourt plutôt pour de grands projets, de longue durée, qui présentent un caractère structurant pour un territoire ; un contrat est conclu qui attribue à la SEM à la fois la réalisation et la gestion des équipements. En France, le recours à la SEM à opération unique n’est pas possible à droit constant. La confirmation en a été donnée par le Conseil d’État dans un avis, particulièrement pertinent, paru en décembre 2009 : ce type d’opérateurs présente un caractère innovant dans notre droit, de sorte que sa création nécessite des évolutions législatives. Les tentatives d’expérimentation soutenues par la Fédération des EPL conduisent au même constat. Nous devons également avoir conscience que le contexte national rend nécessaire la création de la SEM à opération unique, pour trois raisons. En premier lieu, les élus aspirent à reprendre en main la gouvernance de certains services publics locaux qui représentent un enjeu social ou sociétal important ; c’est le cas, en particulier, dans les domaines de l’eau, des déchets et des transports, mais aussi pour la construction et la gestion d’équipements structurants, comme les grands stades et les hôpitaux. Néanmoins, de nombreux élus ne souhaitent pas aller jusqu’à internaliser totalement ces missions, parce qu’ils n’en ont pas les moyens et qu’ils entendent continuer de bénéficier de l’expertise des entreprises françaises de services aux collectivités, dont la capacité d’innovation est reconnue en France et bien au-delà. À ces élus, mes chers collègues, donnons les outils adéquats ! Avec la SEM à opération unique, ils verront satisfait leur souhait d’exercer un contrôle permanent sur la mise en œuvre de certaines missions dans le cadre d’un partenariat pérenne, équilibré, transparent et sécurisé, en particulier en matière de risques financiers et d’investissements. En deuxième lieu, nous devons tenir compte de la raréfaction de la ressource publique et privée. Soyons clairs : elle sera durable. Aussi devons-nous rechercher des solutions pour utiliser de manière optimale les capacités de financement des uns et des autres. En troisième lieu, dans un certain nombre de cas, les différents partenariats public-privé ont montré quelques limites.
vous pouvez le constater, mes chers collègues, le texte de la proposition de loi est court. Il convient en effet, pour assurer à la SEM à opération unique un lancement réussi, de laisser la liberté conventionnelle jouer pleinement son rôle, comme dans tous les autres pays d’Europe.
Félicitons-nous que la SEM à opération unique, bien qu’elle soit pour le moment virtuelle dans la palette des outils de gestion locale, soit déjà clairement attendue et identifiée. L’attente est forte, tout d’abord, parmi les élus. De fait, pas une semaine ne passe sans que je rencontre des collègues, de toutes sensibilités et élus dans tous types de collectivités, qui m’informent de situations très concrètes pour lesquelles ils aspirent à pouvoir recourir rapidement à ce type d’EPL, qu’il s’agisse d’une usine de traitement des déchets, d’un plan d’équipement haut débit ou d’une opération de rénovation urbaine. Par ailleurs, les parlementaires se sont mobilisés en nombre en faveur de l’initiative législative que j’ai suscitée. C’est ainsi que six propositions de loi ont déjà été déposées sur l’initiative des sénateurs et des députés des principaux groupes. Le cap des cent signataires a été dépassé dans les deux chambres. Parmi eux figurent Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, Alain Rousset, président de l’Association des régions de France, et Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables de transport ; il s’agit, pour le moins, de personnalités importantes et influentes. L’Association des départements de France et l’Assemblée des communautés de France ont également pris position en faveur de mon initiative. L’attente est également forte parmi les potentiels actionnaires opérateurs des SEM à opération unique dans les domaines de l’eau, des déchets, des transports et de l’énergie. Mes chers collègues, cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par la commission des lois. Je tiens à souligner l’excellent travail du rapporteur, auquel j’exprime ma vive reconnaissance pour la qualité de son écoute. (MM. Daniel Raoul et Robert Tropeano acquiescent.) Je ne puis que me féliciter de la proposition de M. le rapporteur de rassembler en un seul article, après avoir procédé à certains allégements, la quasi-totalité de la proposition de loi. Cette réorganisation du texte contribuera à démontrer que le dispositif des SEM à opération unique est simple, clair et aisé à mettre en œuvre, puisqu’il s’inscrit, pour l’essentiel, dans le droit existant. Le rapport de M. Jacques Mézard résulte d’un échange constructif avec le Gouvernement. Il n’est pas nécessaire que je vous dise, madame la ministre, à quel point je me réjouis de l’intérêt que vous avez porté à cette initiative depuis votre entrée en fonctions. Mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente répond à cinq exigences : la conformité avec le droit de l’Union européenne, la maîtrise politique par les collectivités territoriales, la sécurité juridique, la simplicité et la souplesse, la rationalisation des coûts. Il n’est que temps de créer un type d’EPL ouvrant la voie à une réelle économie mixte avec les opérateurs, à l’instar de celle qui existe avec les partenaires financiers grâce aux SEM classiques. Je parle d’une économie fondée non pas sur la simple logique contractuelle, mais sur une vision de plus long terme et sur des intérêts partagés se traduisant par la constitution d’une société commune. Dans un contexte marqué certes par des inquiétudes légitimes, mais aussi par de formidables opportunités de repenser l’action locale, nous devons innover tous ensemble pour bâtir des partenariats territoriaux structurants, clairement définis dans leur durée, leur objet, leur financement et leur gouvernance. Mes chers collègues, cette proposition de loi marque l’aboutissement d’un long processus de discussion et de dialogue ; en l’adoptant, vous rendrez possible la création de SEM à opération unique ! (Applaudissements.)