Les interventions en séance

Culture
Catherine Morin-Desailly 01/10/2013

«Projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré les déclarations tonitruantes du début de mandat, force est de constater aujourd’hui que le texte que nous sommes amenés à examiner est décevant au regard des grands enjeux de l’audiovisuel du XXIe siècle. D’abord discuté et voté à la va-vite en fin de session extraordinaire par nos collègues de l’Assemblée nationale, le texte que le Gouvernement présente au Sénat y est encore examiné en procédure accélérée, alors qu’il traite pourtant de sujets fondamentaux. Des sujets sur lesquels les parlementaires, hélas, n’ont été que peu amenés à réfléchir et à s’exprimer. En effet, je veux le rappeler, les parlementaires n’ont pas été conviés aux Assises de l’audiovisuel, une pratique qui va à l’encontre de la tradition républicaine et de la qualité des débats. Ils n’ont pas été davantage associés au groupe de travail chargé de repenser la contribution à l’audiovisuel public. C’est un paradoxe lorsqu’on songe que le principe d’un groupe de travail sur ce sujet avait été acté dans la loi de 2009 ici même au Sénat, via un amendement que notre commission avait porté ! Permettez-moi, madame la ministre, de relever qu’il y a un paradoxe à prétendre depuis des mois avancer sur ces questions sans respecter pour autant le rôle du Parlement ! À cet égard, je rappellerai le court-circuitage par Bercy de la représentation nationale dans l’attribution de la « bande des 700 ». Réaffecter des fréquences vers les opérateurs de télécommunication, pourquoi pas, mais ce projet ne saurait être instauré sans débat préalable avec la représentation nationale, sans réflexion liée, d’ailleurs, au développement de l’audiovisuel. Une tentative de passage en force a été notée également avec la cacophonie autour de l’éventuel transfert de la riposte graduée de l’Hadopi au CSA par un simple amendement. Finalement, il n’en a rien été. Il faut dire que si le projet d’amendement de M. le rapporteur existait bien, cette disposition ne faisait l’unanimité ni auprès des acteurs du secteur ni au sein de votre propre majorité. Sur ces sujets, l’improvisation politique n’a pas sa place, car les enjeux sont considérables. Ils attendent d’ailleurs depuis un an que des réponses crédibles, solides, leur soient apportées. En effet, le secteur a subi de multiples et très importantes transformations, celles-ci rendant une partie de notre règlementation obsolète. Je citerai l’arrivée de la TNT, la multiplication des nouveaux supports et des modes de diffusion, le développement de la télévision connectée. Autant de nouveaux usages, mais aussi de nouveaux acteurs qu’il faut désormais prendre en compte. Tout cela pour dire notre déception à la lecture du texte initial du Gouvernement. Notre rapporteur lui-même l’aura fait observer à cette tribune, il est ainsi regrettable que les effets de la convergence numérique, dont on parle depuis un certain nombre d’années, n’aient pas été pleinement pris en compte au travers d’un travail de réflexion abouti sur le rapprochement du CSA et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, l’ARCEP. On notera aussi que ces évolutions profondes ont bouleversé les modèles économiques traditionnels. Le CSA ne peut donc plus se borner à demeurer un simple régulateur de contenus – un censeur éditorial, diront certains – en parallèle de la poursuite de ses missions originelles. Parce que le CSA doit continuer à être le garant d’un audiovisuel de qualité, pluriel, diversifié, il lui revient de veiller à ce que soient respectées les conditions d’une concurrence saine et équitable et de veiller, par conséquent, à la régulation économique du secteur. En ce sens, pour le coup, nous saluons les avancées portées par le projet de loi qui ajoute le critère économique dans la grille d’évaluation du CSA, un point important concernant l’attribution et la gestion des fréquences. Tout comme vous, mes chers collègues, nous soutenons la nécessité, au travers de cette loi, de progresser dans les modes de nomination. Cependant, nous nous interrogeons, comme notre collègue Jean-Pierre Leleux, sur le côté novateur de ces propositions. Notons, d’ailleurs, que d’aucuns déplorent l’affaiblissement du contrôle démocratique avec le dessaisissement de la représentation nationale d’un certain nombre de ses prérogatives. En effet, ce texte prive les parlementaires de leur pouvoir de contrôle des nominations des présidents de l’audiovisuel public en confiant au CSA, et à lui seul, cette responsabilité. Il les prive également du droit de regard direct sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens. L’audiovisuel public est pourtant un enjeu qui concerne tous nos concitoyens ! Ce contrôle démocratique devrait, d’ailleurs, s’opérer sur les activités de l’ensemble des autorités indépendantes. Compte tenu de l’évolution des missions confiées au CSA et de l’accroissement des compétences de ce dernier, le Parlement devra veiller à instaurer un lien plus régulier et plus exigeant avec le Conseil dans le rendu de ses travaux Je pense, notamment, au suivi du contrat d’objectifs et de moyens. Ce contrôle démocratique apparaît d’autant plus nécessaire que, remodelés par ce projet de loi, ses pouvoirs s’étendent désormais entre nomination, régulation, contrôle et tutelle. Des pouvoirs aussi considérables nécessitent, vous le mesurez, mes chers collègues, une autorité impartiale, libérée de toute pression politique. L’indépendance, c’est bien tout l’objet de ce texte. Poursuivre la réflexion sur la nécessaire indépendance s’inscrit dans les logiques institutionnelles et politiques actuelles, impulsées par la réforme constitutionnelle de 2008. Chacun doit être conscient, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il n’existe pas de système idéal. Ainsi, il apparaît peut-être exagéré, voire présomptueux, d’affirmer, comme vous l’avez fait, que ce texte est bien « la grande loi, parce qu’elle pousse l’indépendance à un degré jamais atteint ». Il faut bien mesurer que l’indépendance ne se décrète pas ! Il s’agit d’un équilibre subtil. Il y a, bien sûr, le processus de nomination, mais il y a aussi bien d’autres facteurs. Comme je le relevais dans mon rapport sur les comptes de France Télévisions de juin 2010, pour les sociétés de l’audiovisuel public, l’indépendance, c’est également celle d’un financement pérenne et dynamique. À cet égard, pour nous, centristes, une télévision publique doit reposer sur des financements publics adaptés – un principe déjà affirmé à l’occasion de la loi de 2009. Ainsi, nous regrettons le refus opposé depuis des années à une évolution de la contribution à l’audiovisuel public, non pas seulement sur son taux, mais sur son assiette, vers plus d’équité. J’ajouterai que, à l’heure où les recettes publicitaires sont devenues incertaines, on a tout fait, sauf garantir l’indépendance de l’audiovisuel public en opérant des coupes brutales l’année dernière et en choisissant de ne pas lui réaffecter entièrement les deux euros d’augmentation de la contribution à l’audiovisuel public. Nous aimerions, d’ailleurs, avoir des nouvelles des 32 millions d’euros actuellement gelés par Bercy. L’indépendance, c’est aussi les conditions d’exercice du mandat des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Une indépendance que vous avez vous-même mise à mal, madame la ministre, en commentant sur une antenne de radio les choix éditoriaux de France Télévisions. Beaucoup se sont émus de cette sortie abrupte. Enfin, l’indépendance des sociétés de l’audiovisuel public renvoie aussi à la question des pouvoirs qui incombent à l’Autorité de régulation, donc au profil de ceux qui les exercent, c’est-à-dire les membres qui la composent. Sur ce sujet, une désignation des membres du CSA avec une majorité positive des trois cinquièmes dans les deux chambres constitue une réelle avancée, que nous saluons. Nous regrettons, toutefois, que le Gouvernement n’ait pas été plus novateur dans le processus de nomination des présidents de l’audiovisuel public. Cette anomalie est inédite, en France comme en Europe : comment imaginer que l’ARCEP nomme les dirigeants de La Poste ou d’Orange ? Ou que la Commission de régulation de l’énergie nomme le président d’EDF ? En outre, qui peut croire qu’on renforce l’indépendance de l’audiovisuel public en confiant la responsabilité de nommer ses dirigeants au CSA, dont le président, quelles que soient ses qualités propres, a exercé les fonctions éminemment politiques de directeur de cabinet d’un Premier ministre et qui a été nommé par le Président de la République ? C’est la raison pour laquelle, sur le modèle de ce qui fut proposé en 2008 par la commission sur la nouvelle télévision publique, nous proposons que les présidents directeurs généraux de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France soient élus par leur conseil d’administration respectif, sur une liste de trois à cinq noms proposés pour chacune des entreprises par le CSA. Chaque candidat devra être en mesure de défendre un projet de mandat, tant devant le CSA que devant le conseil d’administration intéressé, qui constituera le cadre général de son plan d’action à cinq ans. Ainsi, la désignation aura lieu selon des critères exigeants de compétence et d’expérience. Par ailleurs, nous estimons que la désignation du président du CSA doit se fonder sur la compétence et l’expérience du candidat. Et afin d’achever le processus d’indépendance du Conseil entamé par ce texte et de réaliser les engagements du Président de la République pris devant les Français quant aux exigences de neutralité et d’équité de l’audiovisuel public, je propose, avec mes collègues du groupe UDI-UC, que le président du Conseil soit élu par les conseillers eux-mêmes au sein du collège, à l’issue de chaque renouvellement. Cette mesure permettra d’évacuer tout reproche de favoritisme lié à des attaches partisanes avec le pouvoir en place. L’actuelle majorité a suffisamment stigmatisé la nomination de Rémy Pfimlin et de Jean-Luc Hees par Nicolas Sarkozy pour ne pas se regarder dans la glace aujourd’hui ! Compte tenu des bouleversements précédemment évoqués, qui rendent les sujets plus complexes techniquement et juridiquement, compte tenu aussi de la nouvelle donne économique, nous trouvons qu’il aurait été nécessaire de réfléchir un peu plus profondément au profil des conseillers. Les sénateurs de l’UDI-UC portent l’idée que la composition du CSA doit être radicalement repensée autour de deux piliers : compétence et expérience. Nous avons amendé le texte dans ce sens. Cependant, telle qu’elle est formulée, la présentation des compétences et de l’expérience attendues des membres du CSA reste trop générique. Or il est indispensable que les conseillers réunissent des personnalités représentant une diversité de compétences, tant techniques qu’économiques ou juridiques d’ailleurs, ainsi qu’une diversité d’expériences, issues des secteurs de la production, de l’édition et du journalisme audiovisuels. Aujourd’hui, on le constate, le journalisme est surreprésenté au détriment de la production. Il conviendrait aussi de veiller à la diversité des origines, afin que l’on puisse retrouver au sein du Conseil des chefs d’entreprise et pas seulement des fonctionnaires, issus, qui plus est, du même corps d’État. Cette dernière remarque devrait également s’appliquer aux candidats à la présidence des chaînes de l’audiovisuel public. Les décisions que le CSA rendra n’en auront que plus de force et de légitimité au moment où le secteur s’est développé et considérablement complexifié. Autre point que je voudrais souligner, l’autorité indépendante sera d’autant plus respectée si elle parvient à tenir ce rôle de régulateur qui, certes, sévit parfois, mais qui le plus souvent se tient au-dessus de la mêlée, cherchant à arbitrer les différends relatifs à la circulation des œuvres entre professionnels du secteur, afin d’éviter qu’un litige long et coûteux n’apparaisse. C’est la raison pour laquelle je défends l’institutionnalisation de la fonction de médiateur, instituée à titre expérimental en 2011 et qui a montré toute son utilité. Cette idée avait déjà émise au printemps 2013 par notre collègue Jean-Pierre Plancade. Certes, l’amendement n° 26 de M. le rapporteur, adopté par notre commission le 17 septembre dernier, constitue une avancée significative sur la question difficile de la circulation des œuvres. Confier cette mission aux services du CSA pose toutefois un réel problème de compatibilité avec les préconisations de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle impose une stricte séparation entre la fonction d’instruction et celle de sanction. Nous avons donc déposé un amendement sur ce sujet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au regard de tous ces éléments, il est patent qu’un véritable travail de fond reste à réaliser sur la régulation d’un audiovisuel profondément bouleversé par la convergence numérique, et que l’on peut progresser vers toujours plus d’indépendance. Enfin, si l’on souhaite la poursuite des grandes missions du CSA, notamment sociétales, et pérenniser un système de financement de la création audiovisuelle, on ne peut plus traiter du contenu, d’un côté, et des contenants, de l’autre. Une importante réflexion de fond est toujours à mener. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Notre rapporteur n’a cessé de nous renvoyer à un second texte de loi, dont on ne sait quand nous pourrons l’examiner. Nous savons, en revanche, qu’un véritable travail de fond – j’y insiste – associant le Gouvernement et le Parlement est nécessaire, qu’il faudra étudier en profondeur les propositions du rapport Lescure et réfléchir, puisque tout est lié, à l’ensemble des complémentarités ou articulations à effectuer, non seulement entre le CSA et l’ARCEP, mais aussi dans un cadre plus large prenant en compte les missions de la CNIL et de l’Hadopi. Sur ce sujet, notre groupe d’études « Médias et nouvelles technologies », rattaché à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et qui regroupe des sénateurs issus de plusieurs commissions intéressées, notamment celles des affaires économiques et des lois, pourrait réaliser un travail intéressant, lequel devra converger au niveau européen. L’Europe et l’harmonisation des législations et des pratiques : voilà ce dont le secteur de l’audiovisuel a besoin, aussi, aujourd’hui. Pour cette raison, je me réjouis que mon amendement visant à établir un bilan des coopérations et des convergences obtenues entre les instances de régulation audiovisuelles nationales des pays de l’Union européenne ait été adopté par notre commission. Face à l’évolution des usages et des technologies, les aménagements législatifs nécessaires sont nombreux. J’y insiste à nouveau, ceux-ci méritent du sérieux. L’épisode de l’Hadopi, que l’on défende ou non le principe de cette instance, est à cet égard consternant. Annoncer sa mort dès la campagne présidentielle sans avoir méthodiquement procédé à son évaluation, à la fois indépendante et nécessaire, puis se dire, juste après la remise des conclusions de la mission Lescure, qu’il y a urgence à sauver le bébé parce que le piratage a repris, et donc se dépêcher de confier au CSA les missions de l’autorité, en l’occurrence la riposte graduée, tout cela relève d’une impréparation et d’une improvisation politique dont nous ne voulons pas. J’ajoute, en conclusion, que nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à améliorer le texte. Nous tenterons ainsi, modestement, d’apporter notre pierre à l’édifice. C’est donc à l’issue des débats et en fonction du sort qui sera réservé à ces amendements que nous déciderons de notre vote final. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)