Les débats

Collectivités territoriales
Vincent Capo-Canellas
24/01/2013
«Débat sur l՚avenir du service public ferroviaire»
M. Vincent Capo-Canellas
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le système ferroviaire français est à l’aube de réformes importantes. Remercions donc nos collègues du groupe CRC d’avoir pris l’initiative d’engager un débat au Sénat sur ce thème. Constatons aussi que le gouvernement précédent avait annoncé les prémisses d’une réforme en organisant les Assises du ferroviaire, qui ont réuni tous les acteurs et ont traité de l’ensemble des enjeux et des défis auxquels est confronté ce secteur. Les travaux des différents groupes de travail ont permis d’aboutir à un constat partagé sur l’état de notre système ferroviaire et à un certain nombre de recommandations, qui ont utilement contribué à la réflexion des pouvoirs publics. Notons d’ailleurs que les propositions faites par l’actuel gouvernement en matière de gouvernance s’inspirent fortement, pour ne pas dire plus, de ces réflexions. Malgré l’investissement des cheminots dans leur travail, malgré un vrai savoir-faire reconnu par tous, le système français connaît des difficultés croissantes. Certains estiment même qu’il est à bout de souffle. Je crois que chacun est conscient de la nécessité de le réformer, 69 % des Français le pensaient en septembre 2011 et les cheminots partagent certainement la volonté que le rail retrouve un cap. L’ouverture à la concurrence du trafic des voyageurs impose de se réorganiser et nous oblige à traiter rapidement un certain nombre de questions non réglées à ce jour : le lourd endettement et le déséquilibre financier chronique, l’état vieillissant du réseau, son entretien et sa maintenance, la qualité de service, l’articulation défaillante entre Réseau ferré de France et la SNCF ainsi que la gouvernance du système, autant de sujets qui pèsent sur l’avenir du système ferroviaire. Dans ce contexte, il nous faut trouver des solutions pérennes à son développement et à sa compétitivité pour offrir le meilleur service aux usagers au meilleur coût. Il nous faut intégrer la transition écologique et l’écomobilité, sans oublier le fret, le tout, monsieur le ministre, dans un cadre social négocié. Le travail est difficile, c’est presque la quadrature du cercle. Premier problème : l’endettement préoccupant du système ferroviaire français. La dette ferroviaire cumulée par RFF et la SNCF, qui est aujourd’hui de près de 35 milliards d’euros, devrait s’établir autour de 60 milliards d’euros en 2025, dont 51 milliards d’euros uniquement pour RFF. On ne peut ignorer cette réalité. Cette dette a augmenté de 80 % depuis vingt ans. Cette aggravation, liée au financement des grands projets d’infrastructures comme les lignes à grande vitesse, traduit aussi l’incapacité de RFF à générer des ressources suffisantes d’exploitation pour se désendetter et financer ses investissements. Réseau ferré de France perd chaque année 1 milliard d’euros. La SNCF, quant à elle, si elle a vu sa situation financière largement assainie en 1997 par le transfert de sa dette à RFF, connaît néanmoins un endettement d’environ 8 milliards d’euros. La Cour des comptes et les Assises du ferroviaire ont ainsi évoqué des pistes d’amélioration de la performance du réseau et de la productivité du système : la rationalisation de l’offre actuelle de transport ferroviaire sur le territoire en jouant, même si ce peut être parfois douloureux, sur la complémentarité entre les offres – TGV, TER, TET, cars… – et avec les autres modes de transport routiers et aériens en développant l’intermodalité ; l’amélioration de la transparence et de la rationalité des prix ; l’amélioration de la productivité des acteurs du ferroviaire. Monsieur le ministre, nous attendons que vous nous précisiez les mesures que vous comptez prendre en la matière. La gouvernance pour la gouvernance ne changera rien sans un effort de productivité, qui doit aller de pair avec un cadre social négocié. C’est l’intérêt des cheminots et nous devons bien sûr agir avec eux. Cette situation financière est d’autant plus inquiétante que l’état du réseau, lequel est pourtant très développé, se dégrade et que RFF éprouve des difficultés pour entretenir les voies. Sur près de la moitié du réseau, les voies sont en mauvais état, les postes d’aiguillage, d’une technologie souvent obsolète, sont dans un état préoccupant. Malgré les plans successifs de rénovation, entre 10 % et 20 % du linéaire des voies des axes les plus denses ont dépassé leur durée de vie économiquement raisonnable. En seulement dix ans, le nombre de kilomètres de voies sur lesquelles les trains doivent ralentir a triplé et, en 2011, sur 7 % du réseau principal et sur 17 % du réseau secondaire, les trains devaient réduire leur vitesse. Les dépenses de renouvellement des voies ont été divisées par deux à partir des années quatre-vingt-dix. La situation ne date donc pas d’hier. Ces crédits ont été également mal répartis entre l’entretien et le renouvellement des équipements et ont été affectés paradoxalement aux axes à faible trafic. La rénovation des infrastructures et la régénération, prioritairement en zone dense, plutôt que le financement de nouvelles infrastructures, apparaissent donc comme prioritaires. Ce constat, je le crois, est largement partagé. Le train doit répondre aux attentes fortes des usagers et clients : régularité, ponctualité, confort à bord des wagons, transparence des prix et meilleure gestion des correspondances. Ce n’est qu’en proposant une offre attractive et concurrentielle que le train pourra conquérir de nouveaux clients. C’est d’ailleurs un élément important de l’équation économique : plus de clients, c’est un marché qui s’étend. Les transports en commun sont un secteur de croissance et il faudra bien que celle-ci contribue à la ressource. Si elle y contribue seule, ce sera déjà bien. D’excellents rapports nous indiquent que le voyageur devrait peut-être lui aussi y contribuer. Après Roger Karoutchi, qui a traité ce point avec le talent qu’on lui connaît, je voudrais à mon tour évoquer la situation de la région d’Île-de-France. Ce sont près de 3 millions de passagers qui empruntent quotidiennement le réseau ferroviaire francilien, à bord de 7 500 trains. Ce réseau, qui représente seulement 10 % du réseau français, concentre ainsi plus du tiers des circulations ferroviaires totales. La région d’Île-de-France souffre d’une situation particulièrement critique, un grand nombre de ses lignes étant saturées ou au bord de la saturation. La dégradation du réseau francilien est la conséquence du sous-investissement dans les infrastructures. Cette situation est certes ancienne – elle remonte à l’époque où l’État en était le gestionnaire –, mais la région y a sa part de responsabilité. La durée moyenne des déplacements domicile-travail est presque deux fois plus élevée en Île-de-France qu’en province pour une distance comparable et la ponctualité des trains régresse chaque année de un à deux points. L’investissement dans la régénération et la « désaturation » du réseau de transport francilien actuel est essentiel, car celui-ci doit faire face à la demande croissante de transports dans l’agglomération. Et c’est à la région que, depuis la décentralisation du STIF, le syndicat des transports d’Île-de-France, il revient de consacrer plus d’argent aux transports, et en priorité au renouvellement du réseau. Son action en la matière est très insuffisante. Cette situation est également rendue plus difficile par un problème de gouvernance spécifique à l’Île-de-France qui ne manque jamais d’étonner sur ces travées nos collègues de province. La multiplicité des acteurs est source d’une grande complexité et constitue un frein majeur à la mise en œuvre de projets de rénovation. Dans ce domaine, l’imagination a largement fait défaut : des projets de rénovation insuffisants, aucune ambition d’amélioration des transports. Nous en souffrons encore aujourd’hui. L’absence d’un chef de file pour les lignes A et B du RER, notamment, est préjudiciable aux transports dans la région-capitale. Ainsi, la ligne B du RER, que j’emprunte avec un bonheur inégal et, pour tout dire, contrasté pour faire le trajet entre ma bonne ville du Bourget et le Sénat, transporte presque un million de passagers par jour, plus que l’ensemble des passagers des TER. Quant à moi, je suis monté dans ma rame de RER B, laquelle n’avait pas encore été rénovée. D’ailleurs, de rénovation, il est parfois question ; de remplacement, jamais. C’est bien difficile à expliquer à nos concitoyens.
Sur cette ligne, le taux de ponctualité est le plus faible : un train sur cinq a du retard ou est supprimé. La simple gestion de ces retards est rendue très complexe par l’exploitation de cette ligne par deux opérateurs, la SNCF et la RATP, qui en gèrent chacun un bout.
Des améliorations ont été enregistrées, mais ce partage crée de la complexité. Le partenariat, ce n’est pas l’efficacité et tant qu’il n’existera pas un gestionnaire unique pour la ligne B, on n’y arrivera pas. Peut-être faudrait-il automatiser une partie de la ligne. Certes, il n’est pas politiquement correct de le dire, mais cette mesure est réclamée par les usagers, qui en ont marre. Ce scandale ne peut plus durer.
En évoquant maintenant la question de la gouvernance, je ne veux pas ouvrir imprudemment l’imaginaire technocratique que les élus peuvent également alimenter et m’engager sur une voie critique, synonyme, en langage commun, d’impasse. Mais, comme le disait le général de Gaulle, l’exigence – une exigence démocratique –, c’est que « ce bordel soit organisé ». La future loi de décentralisation ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur les transports en Île-de-France. Je trouverais utile que la région s’engage sur un certain niveau d’investissement et qu’elle consacre aux transports non plus 30 %, mais 50 % de son budget.
Durant les Assises du ferroviaire, tout le monde s’est accordé, ce qui est somme toute compréhensible, à faire le procès du modèle de gouvernance français fondé sur une séparation entre le gestionnaire d’infrastructure et le gestionnaire d’infrastructure délégué. La réforme à l’origine de cette séparation n’a jamais été menée à son terme et on paie aujourd’hui le prix de cet inaboutissement. L’acte de décès est publié et la SNCF y a largement contribué. Il faut maintenant construire autre chose.
Monsieur le ministre, ma question est simple : que pensez-vous faire ? existe-t-il un plan B ? Roger Karoutchi a posé d’excellentes questions, que je fais miennes. Comment ferez-vous en cas de blocage de la Commission européenne ? Le cas échéant, épargnez-nous les deux années habituelles de frottement entre les entreprises parce que, dans ces cas-là, rien n’avance, surtout pas le voyageur ! Si vous le faites, faites-le vite et bien, et donnons-nous une ambition claire, allons vers l’intermodalité, vers la multimodalité, intégrons les besoins des usagers dans un cadre social rénové. C’est l’ambition que nous portons.
Dans un prochain débat, je m’exprimerai sur le dossier du fret ferroviaire, mais je rappelle simplement l’enjeu des autoroutes ferroviaires. Ce système a trouvé son point d’équilibre sur la liaison entre les Pyrénées-Orientales et le Luxembourg.
Monsieur le ministre, il existe peut-être une voie d’avenir, une voie pour un transport plus écologique. Les enjeux liés à l’ambition écologique, à l’adaptation du système à l’ouverture à la concurrence, à une meilleure qualité de service pour les voyageurs et des marchandises sont ceux de « l’Europe du rail ». Vous aurez la lourde responsabilité de nous proposer un chemin. Sachez que le Parlement sera bien sûr attentif à cette question. (M. Roger Karoutchi applaudit.)