Les débats

Annick Billon, Denise Saint-Pé, Jean-Marie Janssens, Jocelyne Guidez 20/02/2018

«DÉBAT : FEMMES ET AGRICULTURE»

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M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires ».

Mme Annick Billon, au nom de la délégation des droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - C'est un honneur pour moi d'introduire ce débat sur la situation des agricultrices. Le sujet est mal connu bien que les femmes dirigent pas moins de 30 % des exploitations et représentent 36 % des salariés agricoles. Six co-rapporteurs, reflétant la diversité politique du Sénat d'alors, ont participé, de février à juillet 2017, à l'élaboration de ce rapport - vous connaissez l'attachement de notre délégation au consensus. Il fait une large place aux témoignages de plus de cent agricultrices, rencontrées à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat le 22 février 2017, puis dans le cadre d'auditions et de tables rondes, mais aussi au cours de déplacements en Vendée, en Bretagne, en Haute-Garonne et dans la Drôme. Notre rapport analyse le parcours des agricultrices dans toute sa globalité : formation, installation, statut, protection sociale, santé, responsabilités dans les organisations professionnelles agricoles, retraite. Il évoque les spécificités liées à l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale pour des femmes qui exercent un métier où la charge de travail est considérable et dont les contraintes d'organisation peuvent être aggravées par un accès parfois inégal aux services publics, aux soins et aux moyens de communication. Certains ressentis reflètent le malaise d'une profession, que l'on ne peut plus passer sous silence. Une résolution du Parlement européen sur les femmes et leur rôle dans les zones rurales, adoptée en mars 2017, rejoint les constats que nous avons établis. Premier constat, l'insuffisance des revenus et leur dégradation continue. « On se lève le matin pour perdre de l'argent », nous a expliqué Christiane Lambert, première présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA. Deuxième constat, le métier souffre d'une image négative. Il représente, pour reprendre toujours les mots de Christiane Lambert, « une profession oubliée ». L'histoire des agricultrices est celle d'une longue invisibilité ; longtemps, ces femmes ont été considérées sans profession. La crise actuelle les oblige souvent à travailler à l'extérieur, multipliant par deux leur charge de travail. Elles se heurtent à des obstacles particuliers dans leur parcours de formation et d'installation, qu'il s'agisse de l'accès aux stages ou de l'accès au foncier. Les solutions d'accueil des jeunes enfants manquent. Nos quarante recommandations ont été votées à l'unanimité. Elles visent, d'abord, à faciliter l'installation : il faut adapter les critères d'attribution des aides au profil atypique des agricultrices, qui exploitent des surfaces généralement plus petites que celles des hommes et s'installent plus tardivement. Ensuite, prérequis de toute amélioration de la condition agricole, les agricultrices doivent bénéficier d'une retraite et d'un revenu décents. Cela passe notamment par le recensement des agricultrices sans statut - elles seraient 5 000 à 6 000 dans ce cas. Autre sujet d'importance, le congé de maternité. À peine 58 % des femmes ont recours aux services de remplacement durant cette période. Le Gouvernement veut harmoniser le congé maternité, il faut s'en féliciter. Pour notre part, nous recommandons d'améliorer la communication sur le remplacement, afin que les agricultrices en profitent lors de leur grossesse mais aussi pour suivre une formation continue ou exercer un mandat dans une chambre d'agriculture. Primes et trophées, dont de nombreuses régions ont abandonné la remise à l'occasion de la refonte de la carte régionale, doivent être réactivés et généralisés. C'est une manière de reconnaître les agricultrices, d'en faire des modèles auxquels les jeunes filles pourront s'identifier. Ces prix des femmes en agriculture pourraient être remis le 15 octobre lors de la Journée de la femme rurale ou lors de la journée de la femme le 8 mars. Les réseaux d'agricultrices jouent un rôle essentiel dans l'autonomie professionnelle des femmes, la diffusion des bonnes pratiques et la prise de confiance en soi. Le groupe « Agriculture-parité : Agriculture au féminin » de la chambre d'agriculture de Bretagne est une initiative à encourager et à diffuser. Si la proportion des femmes dans les chambres d'agriculture est de 27 % sous l'effet de la loi du 4 août 2014, leurs bureaux sont très masculins. Nous recommandons que la proportion d'un tiers de femmes, prévue par la loi du 4 août 2014, s'étende aux présidences de commissions et aux bureaux des chambres d'agriculture, comme aux instances dirigeantes des syndicats agricoles.

Notre travail collectif a suscité autant de satisfaction dans les territoires que d'attentes. Nous comptons sur vous, Madame la Ministre, pour qu'ils ne soient pas déçus en donnant corps à nos propositions que j'ai présentées au salon international des productions animales de Rennes en septembre 2017 et devant la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA en décembre. Notre réflexion est d'actualité : la session de la Commission de la condition de la femme des Nations-Unies, qui s'ouvre dans quelques jours et à laquelle j'aurai l'honneur de participer, a pour thème l'autonomisation des femmes et des filles en milieu rural.


Mme Jocelyne Guidez . - En 2017, seules 58 % des agricultrices ont exercé leur droit à un congé maternité. Le port de charges lourdes et l'exposition aux pesticides menacent leurs grossesses. Cette situation s'explique par la défaillance du service de remplacement : carence de l'offre, manque d'informations sur le dispositif, réticences des agricultrices à confier leur installation à un tiers et, surtout, coût. Les femmes agricultrices devraient être les premières à bénéficier du congé maternité harmonisé. Le remplacement coûte 145 euros par jour alors que les indemnités seraient de 80 euros par jour. Pouvez-vous vous engager, Madame la Ministre, à ce que les indemnités couvrent les frais de remplacement ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - La MSA assure le financement du remplacement, cela n'a pas d'équivalent dans les professions libérales. En 2015, 60 % des femmes ont bénéficié de l'allocation pour remplacement. Il nous désormais lever tous les freins. Je porte le projet d'un congé maternité harmonisé, qui viendra en complément. L'idée étant de protéger les femmes, et non les statuts.


M. Jean-Marie Janssens . - Alors qu'en Europe le nombre d'agriculteurs diminue de 25 % tous les dix ans, il est impératif de favoriser l'installation de nouveaux exploitants. Les agricultrices ont plus de mal à s'installer car elles héritent rarement d'une exploitation et sont pénalisées par le coût de l'accès à la terre. Elles bénéficient moins de la Dotation jeunes agriculteurs (DJA), en raison de critères d'attribution rigides et inadaptés, notamment le critère de surface minimale, la limite d'âge à 40 ans et l'obligation de présenter un plan sur cinq ans. Or les agricultrices s'installent sur de plus petites surfaces, plus tardivement, et les maternités peuvent retarder le plan d'entreprise. Le rapport de la Délégation préconise d'adapter les conditions d'éligibilité à la DJA. Quelles mesures envisagez-vous pour faciliter l'installation d'agricultrices ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre constat est juste. Il y a 50 % de filles dans l'enseignement agricole, preuve que ces métiers sont attractifs, mais un phénomène d'entonnoir freine ensuite leur installation. Il faut agir dès l'orientation. L'enseignement agricole a mis en place des politiques d'éducation à la citoyenneté et peut aider les jeunes filles à construire leur projet professionnel, concrètement mais aussi sur le plan business. Les bonnes pratiques de l'enseignement agricole sont reconnues par le Haut Conseil à l'égalité et portées par le réseau Égalité des chances qui organise séminaires thématiques et formations. Plus récemment, un colloque au lycée viticole de Mâcon a interrogé les stéréotypes de genre. Le climat scolaire est bon : d'après les enquêtes, plus de 85 % des jeunes filles sont satisfaites des internats dans l'enseignement agricole.


Mme Denise Saint-Pé . - La féminisation des instances dirigeantes est clé dans le combat pour l'égalité : c'est donner la parole aux femmes, inspirer, susciter des vocations. Depuis le décret de 2012 et la loi de 2014 qui obligent les chambres d'agriculture à désigner un tiers de femmes, la moyenne nationale s'établit à 27 %, ce qui correspondant à la démographie de la profession. Mais les instances dirigeantes demeurent très masculines, les bureaux n'étant soumis à aucune obligation juridique. Le conseil d'administration de l'APCA compte une élue pour 33 hommes et seules trois chambres sur 83 sont présidées par une femme. Le rapport préconise de modifier la loi pour répercuter cette obligation sur les instances dirigeantes des chambres, des syndicats et autres organisations.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - La parité sur les listes électorales sera complète en 2020, les prochaines élections ayant lieu en 2019. La loi du 13 octobre 2014 inscrit l'amélioration de la représentation des femmes dans les Safer avec un minimum de 30 % de représentants du même sexe dans les conseils d'administration. Le ministère de l'agriculture s'est engagé dans une démarche de double labellisation : égalité et diversité. Il veille au respect de ces principes chez les opérateurs qui sont sous sa tutelle. Nous souhaitons avancer le plus vite possible.