Les débats

Affaires étrangères et coopération
François Zocchetto 16/01/2013

«Débat, sur l՚engagement des forces armées en réponse à la demande d՚intervention militaire formulée par le président du Mali»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la puissance est une donnée relative. Toutefois, elle n’est pas sans entraîner certains devoirs. Aussi, je ne crois pas me tromper en affirmant que, chaque fois que la France met son appareil de défense et le courage de ses soldats au profit de la défense de la liberté, elle s’honore et respecte sa mission historique parmi les nations. Au nom des sénateurs du groupe UDI-UC, je souhaiterais joindre notre voix à l’hommage rendu au lieutenant Damien Boiteux, qui a perdu la vie pendant les premières heures du conflit. Progressivement, nos soldats reviennent d’une opération difficile en Afghanistan, longue de dix années et lourde de dizaines de pertes d’hommes irremplaçables. Le nom du lieutenant Boiteux figure désormais sur la liste de nos concitoyens disparus lors du combat que la France a toujours mené pour la liberté. Depuis son indépendance, le Mali est un ami indéfectible de la France. Nous comptons plus de 100 000 ressortissants maliens sur notre territoire et nombre de citoyens français restent attachés, par le biais de leur famille ou de leurs amis, à ce pays. Le Mali s’est également imposé depuis de nombreuses années comme la terre d’accueil d’un nombre important de nos concitoyens, qui se sont installés à Bamako ou ailleurs. Forte de ces liens profondément enracinés, la France ne pouvait que répondre vigoureusement à l’appel lancé par le Président malien pour défendre son territoire et ses institutions menacés. La crise catastrophique que traverse le nord du Mali depuis près d’un an est une plaie béante au cœur du Sahel. La conjugaison des forces des rebelles touareg revenus des rangs de l’armée de Kadhafi et des groupes islamistes qui alimentent tous les trafics entre la Mauritanie, l’Algérie, le Niger et même d’autres pays a eu raison de la stabilité et de la paix qui ont longtemps caractérisé le Mali. En réalité, nous connaissons assez mal notre ennemi. Les rebelles nordistes sont un bataillon hétéroclite qui comporte aussi bien des Touareg laïcs que des terroristes islamistes, des criminels et des pillards en tout genre. Nous avons cependant une certitude : à Tombouctou, cité universitaire millénaire élevée au rang de patrimoine mondial de l’humanité, on coupe depuis plusieurs mois des mains, on excise, on viole, on pille et on tue impunément. Des exactions sans nom sont perpétrées sur un territoire plus vaste que la France. Des villes entières sont sous la coupe de la charia et d’organisations criminelles qui font peser un risque généralisé sur la stabilité de tous les États voisins du Mali et même sur la sécurité de la France et de l’Europe. Ne nous y trompons pas, le nord du Mali est situé à moins de trois heures d’avion du sud de la France. Nous n’imaginons pas ce que deviendrait la France si elle devenait la cible d’un sanctuaire terroriste. Nous ne pouvons pas laisser un nouvel Afghanistan apparaître au cœur de l’Afrique. Ces groupes, financés à la fois par l’argent des trafics de stupéfiants, par l’immigration illégale et par le rançonnage, le rapt et le pillage, alimentent une sourde haine contre notre pays et contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’expression de la liberté. C’est pourquoi, monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UDI-UC ne peuvent que saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali. Le 16 janvier est malheureusement un jour anniversaire. En effet, le 16 janvier 2012 a eu lieu la première incursion des terroristes dans le territoire malien, avec la prise de Ménaka. Dès le 26 janvier 2012, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, notre groupe avait, par la voix de Joël Guerriau, alerté le Gouvernement et suggéré une intervention rapide de nos forces armées. Peu de temps après, les places militaires de Tombouctou, Gao et Kidal sont tombées. Le problème n’est donc pas nouveau. Douze mois ont passé depuis la prise de Ménaka. Sur un plan purement tactique, les six premiers jours d’intervention semblent positifs. Ce succès opérationnel s’accompagne toutefois d’un certain nombre d’incertitudes. De nombreuses questions demandent des réponses et justifient le recours à la procédure prévue à l’article 35 de la Constitution. Monsieur le ministre, vous avez évoqué une intervention rapide, de l’ordre de quelques semaines. Mais ne risquons-nous pas de nous enliser dans un engagement intensif et exigeant en hommes comme en matériel, sans bénéficier d’un appui significatif de nos alliés ? En effet, la France est la seule puissance à avoir répondu à l’appel du Mali. (M. le président de la commission s’exclame.) En dépit du mandat confié aux forces internationales dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU, la France est bien à ce jour la seule puissance militaire engagée dans le déroulement opérationnel du conflit malien. (M. le président de la commission s’exclame de nouveau.) Les forces de la CEDEAO tardent à se rassembler, et, quand bien même elles se rassembleraient, elles ne représentent que 2 900 hommes issus de bataillons et d’armées différents. Or il s’agit, je le rappelle, de couvrir au sol un territoire plus vaste que la France. Plus grave encore, les troupes maliennes sont désorganisées, mal équipées et parfois même, pour certaines d’entre elles, tentées de rejoindre les rangs nordistes. Nous l’avons bien compris, l’issue militaire du conflit restera incertaine tant que la France ne parviendra pas à réunir la coalition la plus large possible. Certes, l’Algérie nous a ouvert son espace aérien. Certes, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont donné des signes de soutien immédiats. Mais comment ne pas regretter l’absence de concertation visible et de réaction de l’Europe ? Ce ne sont pas les quelques commentaires du président de la Commission européenne qui peuvent masquer l’incapacité de l’Europe à réagir diplomatiquement et militairement. Monsieur le ministre, nous demandons une réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, car nous souhaitons une réaction à la mesure de l’enjeu pour l’Europe. Notre deuxième interrogation porte bien évidemment sur le sort des otages ; ce sujet a déjà été évoqué. Leur sécurité n’est-elle pas mise en cause par l’intervention au Mali ? De quelles informations disposons-nous ? Pouvons-nous espérer leur libération ? Là encore, de nombreux points méritent d’être éclaircis, sous réserve du respect de la discrétion que requiert ce genre d’information. Enfin, quelles sont les perspectives pour trouver une solution politique à ce conflit ? Notre intervention se limite-t-elle seulement à bloquer la progression des terroristes, ou s’agit-il d’appuyer la restauration de la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, y compris la région du nord ? Cette entreprise de restauration de souveraineté sera-t-elle exclusivement menée par l’emploi de la force, ou existe-t-il encore une chance de dialogue diplomatique ? En dépit de ces quelques interrogations importantes, qui portent sur des points que vous ne manquerez pas d’éclaircir, monsieur le ministre, je tiens à rappeler, au nom de l’ensemble du groupe UDI-UC, notre soutien ferme et indéfectible à nos troupes engagées sur le terrain. Nous leur transmettons tous nos vœux de succès et nous nous en remettons à vous pour garantir la sécurité de nos otages comme de nos soldats. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)